Les billets d'humeur de Mr. Tournoy

Les billets d’humeur de đ“œđ“». đ“Łđ“žđ“Ÿđ“»đ“·đ“žđ”‚ ☛ MĂ©tiers en pĂ©nurie : un raccourci dangereux !

Tu veux un boulot ? Traverse la rue ! Punch-line discutable qui se tient sans doute rue de la Loi ou sur le parvis de l’ENA mais qui se noie en bord de Sambre. ChargĂ©e de diplĂŽmes, de rĂ©fĂ©rences, du gros rĂ©seau Ă  papa et pistonnĂ©e comme un moteur de RS6, peut-ĂȘtre qu’il suffit effectivement Ă  la jeune mule de se baisser pour brouter l’herbe verte de la rĂ©ussite. Mais ici, MĂŽsieur, les p’tites fleurs ont souvent un goĂ»t amer : celui de la guigne. Le travail ne pousse pas Ă  tous les coins de rue et les gens ont les articulations grippĂ©es par la mauvaise vie.

Il n’y a qu’a former aux mĂ©tiers en pĂ©nurie ! clame le capital. Parlons-en de ces fameux mĂ©tiers en pĂ©nurie. Points-communs : (Ă  quelques exceptions prĂšs) travail pĂ©nible, horaire d’esclave, rĂ©munĂ©ration discutable, dĂ©veloppement personnel proche du nĂ©ant. Ces mĂ©tiers, MĂŽsieur, sont de ceux pour lesquels vous accueilliez jadis Ă  bras ouverts ces migrants que vous flagellez depuis Ă  tout bout de champ. Qu’ils s’en contentent voyons ! Aujourd’hui, faute de main d’Ɠuvre Ă©trangĂšre MĂŽsieur, tu vas piocher dans ce qu’il te reste : les plus fragiles de tes concitoyens, ceux que tu peux effrayer, manipuler, presser Ă  l’envie.

Qui sont-ils ces fragilisĂ©s ? Les surnumĂ©raires. Relisons tous Robert Castel et son analyse des rejetĂ©s de la sociĂ©tĂ©. Tout systĂšme organisĂ© crĂ©e ses exclus, Ă©crit-il. Si tu ne rentres pas dans le moule, si tu ne corresponds pas Ă  la norme, basta ! Les raisons de cette incompatibilitĂ© sont multiples et ont Ă©tĂ© analysĂ©es en long et en large. Comme nous le disions plus haut, nous ne sommes pas tous sortis de la cuisse de Jupiter, le petit Pierre-Henry aura obligatoirement plus de chance de devenir avocat en sortant d’une bonne Ă©cole dans la Merco paternelle pour aller au Paddle que le petit Thierry (ne parlons mĂȘme pas de Yassin) qui traine ses guĂȘtres dans une Ă©cole amiantĂ©e et Ă  moitiĂ© brulĂ©e de Charlouz’ avant de rentrer en mĂ©tro pour jouer Ă  TĂ©tris.

Ainsi, comme tu es nĂ© dans un milieu dĂ©favorisĂ© (en tous cas qui n’a pas la faveur du capital), tu as beaucoup plus de chances de rejoindre le flot de chĂŽmeurs malaimĂ©s. Tu alimenteras probablement cette manne « qui coĂ»te Ă  la Belgique ». Or, on te sermonne qu’il y a des postes vacants dans ces mĂ©tiers en pĂ©nurie. Qu’attends-tu ? Forme-toi et arbeit ! Tu ne veux pas ? Tu n’es alors qu’un fainĂ©ant et nous avons le droit, que dis-je, le devoir de te couper les vivres. Tu ne suceras plus le sein laiteux de ma sociĂ©tĂ© ultra-libĂ©rale. Tu es un rebus, un surnumĂ©raire.

De notre point de vue, ici Ă  la Funoc, ce discours nous rĂ©volte Ă©videmment. Car la rĂ©alitĂ© des gens est bien plus complexe. Oui, il faut former, assurĂ©ment. Mais pas Ă  n’importe quel prix. Car la formation telle que nous la concevons n’est pas simplement l’acquisition de compĂ©tences professionnelles. Nous envisageons au contraire l’accompagnement de nos stagiaires comme un grand tout qui leur redonne des bases, qui leur offre les outils pour apprĂ©hender cette sociĂ©tĂ© hostile qui n’attend qu’une chose : les rejeter. C’est ça, la qualification sociale : ĂȘtre capable d’évoluer Ă  tous les niveaux dans son environnement.

Un autre point m’inquiĂšte. Cette pĂ©nurie est-elle bien rĂ©elle ou ne serait-elle qu’une invention du politique ? Dans un article rĂ©cent de l’Écho, le sociologue Jean-François Orianne explique les choses autrement. Pour lui, certes, certains mĂ©tiers peinent Ă  trouver de la main-d’Ɠuvre, par manque d’attractivitĂ© notamment, mais c’est tout Ă  fait normal. Il existe par contre une rĂ©elle pĂ©nurie de l’emploi. Mais, c’est la thĂ©orie de J-F Orianne, il est plus intĂ©ressant pour le politique de changer la donne, de dire que les gens ne veulent pas travailler dans certaines fonctions (en insistant Ă  coup de com’) plutĂŽt que de dire qu’il manque du travail de maniĂšre gĂ©nĂ©rale pour beaucoup de monde. Ainsi, il se dĂ©douane en quelque sorte de sa gestion du chĂŽmage en reportant la faute sur l’autre, l’accusant indirectement de ne pas prendre ses responsabilitĂ©s. Si cela est vrai et j’aurais tendance Ă  le croire, que faut-il en penser ?

En tant que directeur de notre institution, je refuse cette thĂ©orie nausĂ©abonde liĂ©e aux mĂ©tiers en pĂ©nurie. Je ne pousserai donc pas « mes surnumĂ©raires » dans les bras d’une logique marchande rĂ©pugnante. Je ne ferai jamais passer le rĂ©sultat avant le bien-ĂȘtre des gens. La Funoc empĂȘche les gens de retomber plus bas, ce n’est pas pour les prĂ©cipiter dans l’enfer de mĂ©tiers qui ne leur correspondraient pas. Car finalement, MĂŽsieur du capital, la seule vraie pĂ©nurie aujourd’hui en Belgique est celle de la Bienveillance.

đ“œđ“». đ“Łđ“žđ“Ÿđ“»đ“·đ“žđ”‚, directeur gĂ©nĂ©ral de la FUNOC


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