Les billets d'humeur de Mr. Tournoy

Les billets d’humeur de đ“œđ“». đ“Łđ“žđ“Ÿđ“»đ“·đ“žđ”‚ ☛ L’AUTONOMIE DE LA MISÈRE

Parfois, je me dis que l’intelligentsia, dans sa tour d’ivoire, imagine le carolo dĂ©favorisĂ© comme une sorte d’ébauche humanoĂŻde semi-Ă©voluĂ©e, proche de la bactĂ©rie sans cervelle qui se meut dans son Ă©lĂ©ment par simple rĂ©flexe. À entendre certains discours, des gens, parmi les plus prĂ©carisĂ©s attendraient la grĂące d’un État salvateur qui les libĂ©rerait de leur stade de dĂ©veloppement prĂ©tendument limitĂ©. Bouga bouga. La formation serait (selon eux) Ă  la fois le remĂšde ultime Ă  la misĂšre mais surtout le passeport (ou le laisser passer) pour le statut d’adulte autonome. Car oui, carolo « d’en bas », lĂ -haut on t’imagine grignotant les pavĂ©s pour te nourrir et lançant tes excrĂ©ments pour communiquer avec tes semblables.

Or, je vous le dis, messieurs dames du capital, nos carolos des p’tits quartiers ne vous ont pas attendu, vous et vos lois du marchĂ©. Au risque de vous horrifier, ils sont dĂ©jĂ  autonomes. Vive le royaume de la dĂ©brouille. Ils font leur train-train, certes avec quelques embuches. Mais ils parviennent effectivement Ă  Ă©lever leur famille. Une partie, grand dieu, dĂ©veloppe mĂȘme des rĂ©seaux, ils travaillent, parfois au black certes (et je ne le cautionne pas) mais qui n’a jamais fait appel Ă  un carreleur sans numĂ©ro de tva ? Seulement, ils ne vivent pas selon votre norme.

Et quelle est-elle cette norme ? De quoi est-elle composĂ©e ? De comportements, de rĂ©flexes d’achat, de connaissances dites « de base ». Je m’arrĂȘte un instant sur cette notion : connaissances de base
 les maths, le français sont des connaissances de base, utiles, nĂ©cessaires. Mais qu’en est-il de ces savoirs imposĂ©s par exemple aux Belges d’origine Ă©trangĂšre ? Or, quel Belge « de souche » connait le nombre prĂ©cis de communes qui composent notre pays ? Quelle est la mĂ©nagĂšre, le garagiste, le mĂ©decin, le directeur d’asbl qui connait le rĂŽle exact d’un parlementaire ? Quelle est la niĂšce au troisiĂšme degrĂ© du deuxiĂšme roi des Belge ? Vous ĂȘtes sĂ©rieux ? Et surtout en quoi est-ce nĂ©cessaire Ă  la vie en communautĂ© ? Allons. Ne demande pas Ă  l’autre, ce que tu n’es pas capable de faire toi-mĂȘme. Pourquoi l’accompagnĂ© devrait maitriser ce que l’on ne maitrise pas nous mĂȘme ?

Bref. Revenons Ă  votre norme, monsieur, madame du capital est celle voulue par l’élite : rangĂ©, moyen, docile, manipulable. Ce que, prĂ©cisĂ©ment, tu appelles « autonome ». Entendons bien : autonome dans la limite qui est autorisĂ©e et favorable au marchĂ©. Faudrait pas dĂ©border du cadre et s’en aller dĂ©paver les rues.

Du coup, si la formation n’était qu’une maniĂšre de rendre autonomes des individus, ce n’est pas la peine. Autonomes comme je le disais, ils le sont dĂ©jĂ  et le statut du « CRACS » (Citoyen Responsable Actif Critique et Solidaire, terme issu du jargon de la mise en conformitĂ©) ils n’en n’ont probablement pas grand-chose Ă  f*****. NON. Vous l’aurez compris mesdames, messieurs, Ă  la FUNOC on rĂ©siste aux tirades de l’adĂ©quationnisme.

L’intĂ©rĂȘt de la formation rĂ©side dans l’humain. Dans son dĂ©veloppement personnel, dans sa capacitĂ©, non pas simplement Ă  manger, travailler et voter mais aussi Ă  rĂ©flĂ©chir Ă  son avenir. Nous devons apprendre Ă  ces personnes qu’elles ont le droit de rĂȘver Ă  un futur meilleur. Nous devons les rassurer quant Ă  leur lĂ©gitimitĂ© dans la sociĂ©tĂ©. Nous devons leur faire comprendre qu’elles n’ont pas Ă  avoir honte devant un monsieur en beau costume, un banquier, un contrĂŽleur de ceci ou cela. Nous devons leur donner les clĂ©s non pas de l’autonomie mais de l’émancipation face aux prĂ©jugĂ©s du marchĂ©. Il faut veiller Ă  les rendre plus forts ensemble pour lutter contre les inĂ©galitĂ©s qui pĂšsent sur leur avenir. Autrement dit, la norme est une chose, il faut parfois s’y conformer pour agrandir son champ d’action mais il faut surtout ĂȘtre maitre de sa vie et ne pas craindre ce qui vient d’en haut.

J’écoute parfois les discussions de mes stagiaires dans les couloirs (oui, c’est pas bien). Je les entends causer de tout, comme dans n’importe quelle structure mais je suis parfois Ă©tonnĂ© par des savoirs qu’ils possĂšdent et qui me sont totalement Ă©trangers. Il arrive que je les observe rĂ©soudre un problĂšme technique ou du quotidien avec un naturel et une crĂ©ativitĂ© qui fait dĂ©faut Ă  bon nombre de nantis. Alors, je l’avoue oui, je me dis que c’est nous, moi, Belge blanc favorisĂ© et normalisĂ© qui devrait aller apprendre la vraie « autonomie » auprĂšs des gens « d’en bas » : l’autonomie de la misĂšre !

La leçon Ă  tirer de tout ça : ne changerait-on pas de lunettes ? Nos publics possĂšdent des ressources et maitrisent des compĂ©tences dont nous n’avons peut-ĂȘtre mĂȘme pas conscience. Changeons donc le prisme Ă  travers lequel nous travaillons avec eux. Sortons des carcans formateurs/stagiaires et basculons plutĂŽt dans une relation win-win oĂč tout le monde grandira.

đ“œđ“». đ“Łđ“žđ“Ÿđ“»đ“·đ“žđ”‚, directeur gĂ©nĂ©ral de la FUNOC